ATELIER 176
Lundi 14 avril 2025
Joël DICKER La très catastrophique visite du zoo
Jean ECHENOZ Bristol
Pour cet atelier printanier nous n’étions que 4. Le débat a évidemment été limité mais il a malgré tout été fécond. Les deux romans choisis pour cet atelier répondaient à un besoin de légèreté après avoir lu des ouvrages qui nous plongeaient dans les malheurs des mondes passés ou présents.
La très catastrophique visite du zoo
Le nom de Joël Dicker n’était pas inconnu de plusieurs d’entre nous. C’est un auteur de polars qui a publié quelques best-sellers. Ainsi La vérité sur l’affaire Harry Québert a connu un succès mondial (traduit en 40 langues et 5 millions d’exemplaires vendus). Fils d’une libraire et d’un prof de français, c’est un écrivain suisse romand très attaché à Genève sa ville natale. Ainsi, avec un associé, il a investi une partie de ses gains d’auteur dans le rachat de la chocolaterie Du Rhône, une célébrissime institution genevoise connue depuis près d’un siècle et demi pour l’excellence de ses chocolats.
Avec La très catastrophique visite du zoo Joël Dicker a voulu faire œuvre différente de ses précédentes productions. Il dit vouloir s’adresser aux lecteurs « de 7 à 120 ans ». D’où l’impression première de lire un exercice littéraire. C’est, certes, original et culotté mais aussi très artificiel. Les 256 pages du livre font figure de petite récréation à coté des 450 à plus de 600 pages de ses polars. Le premier niveau de lecture fait penser à une sorte de Club des cinq où six enfants surdoués essaient de trouver le responsable de l’inondation de leur petite école. Jusqu’alors, en raison de leurs différences, ils étaient séparés des autres enfants ; désormais ils vont fréquenter les mêmes locaux. Cette nouvelle situation, ces nouvelles rencontres vont provoquer chez eux des interrogations sur la société et le monde des adultes. Dans un second niveau de lecture on peut dire que l’auteur aborde les questions des relations sociales actuelles, le regard sur l’autre, les discriminations, le rôle des parents, la place de l’école dans l’éducation du citoyen, la censure, les inégalités sociales…
L’auteur se met dans la tête de jeunes enfants surdoués. Principalement dans celle de Joséphine, sa narratrice principale. Mais aussi dans les réactions et le vocabulaire des copains de Joséphine, Artie l’hypocondriaque, Thomas le karatéka, Otto le fils de divorcés ou Giovanni toujours en chemise « parce que ses parents sont très riches » et Yoshi qui ne parle « jamais-jamais ». C’est donc bien un exercice de style qui permet de dire leur regard sans complaisance sur le monde des adultes. On peut prendre du plaisir à suivre ce qui est malgré tout une enquête sur un fait mystérieux mais aussi trouver le livre superficiel, trop léger et trop bref sur les problèmes de société abordés, certains diront effleurés mais ce n’était pas l’objectif de l’auteur.
Bristol
Jean Echenoz est un auteur qui a une très riche bibliographie. Lors de précédents ateliers il a été question à plusieurs reprises de certains de ses romans. Il a été couronné par de nombreux prix. Le Médicis en 1983 pour Cherokee et le Goncourt en 1999 pour Je m’en vais. Son écriture est très caractéristique, on la dit influencée par le cinéma.
Dans Bristol il raconte les mésaventures d’un médiocre réalisateur de film, confronté dans un premier temps aux problèmes que rencontre tout cinéaste pour monter un film. Trouver l’argent. Convaincre les acteurs. L’autrice dont le futur film est l’adaptation d’un roman résout tous ces problèmes en finançant le projet mais en imposant sa pupille comme principal rôle féminin. Après le tournage en Afrique du Sud-Est, plein d’embûches et couteux, le film sort et est un échec total. Bristol -c’est le nom du réalisateur- se retrouve seul, rejeté par la profession, en particulier toutes les victimes de l’échec, producteurs, acteurs, techniciens. Jouant de malchance, Bristol est suspect d’avoir poussé un inconnu du cinquième étage de son immeuble. Pour lui, la solution est la fuite, et il entame un périple qui le conduit à travers le Morvan, le Limousin jusqu’à un parking de bateaux où il apprend que l’affaire de l’inconnu -en fait un suicide- est résolue mais cela ne change rien à sa solitude.
L’auteur a mis en scène autour du héros quelques personnages hauts en couleurs. En particulier une actrice vieillissante mais toujours séduisante, voisine de Bristol qui ne l’aime pas. En revanche les autres personnages masculins tombent sous son charme, un policier, une sorte de milicien africain, un ex-militaire ancien chauffeur de l’autrice. L’autre personnage féminin, Geneviève, est polyvalente, elle aide Bristol pour son film et l’assistance de l’autrice, mais elle finit par l’abandonner. Il reste la jeune première peu motivée par une carrière au cinéma. Que reste-t’il de ces aventures loufoques ? Des portraits, pas mal d’humour et d’ironie. Jean Echenoz nous a raconté avant tout l’histoire d’un homme qui fuit son quotidien, ses ennuis et un monde devenu hostile. Il faut juste se laisser emporter par ses déambulations et ses regards sur son environnement lorsqu’il voyage en train ou en voiture.
On entre ou pas dans ce désordre bien construit pour en être un. Ce qui explique que les critiques soient extrêmement diverses. Cela va de la démolition par Frédéric Beigbeder qui titre son article du Figaro « Bristol, le navet de Jean Echenoz » à Raphaëlle Leyris qui dans Le Monde fait l’éloge du « style cinégénique » d’Echenoz et voit dans ce roman une réussite et même « un aboutissement ».
Prochain atelier
Pour le 19 mai 2025, notre choix s’est porté sur le roman L’inventaire des rêves de l’autrice nigériane Chimamanda Ngozi Adichie